Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, je vais présenter une notion technique. Pourquoi ? Parce que je me prends la tête sur des analyses de ce type depuis plusieurs jours. Comme c’est un concept que je ne connaissais pas, je lis beaucoup ; autant faire quelque chose de mes notes. Dans cet article, j’essaie d’expliquer des notions compliquées avec des mots simples et grand public. Je prends donc le risque d’obtenir un résultat un peu bancal, entre le “trop simplet” pour une personne scientifique et le “trop charabiesque” pour le novice. Disons que ça peut aider des étudiant-e-s quelque part entre la licence et le master, qui se destinent à faire de la recherche ou du moins à comprendre des articles scientifiques du domaine de la psychologie et des neurosciences cognitives.
D’abord, quelques éléments de contexte. Je fais actuellement un postdoc à UCSF, département Psychiatrie, dans un laboratoire de neuromodulation qui accueille, entre autres, des personnes avec Troubles Obsessionnels Compulsifs. Pour certain-e-s patient-e-s, le trouble est extrêmement sévère et handicapant, et résiste à toute forme de traitement conventionnel non invasif. Dans ce cas, la stimulation cérébrale profonde peut apporter un espoir. Ces patients reçoivent donc des électrodes implantées de façon permanente dans une zone profonde, la partie antérieure ventrale de la capsule interne (vALIC). Certain-e-s patient-e-s récents ont pu recevoir des électrodes qui permettent à la fois de stimuler électriquement la zone, et d’enregistrer l’activité dans le tissu. Présentement, j’analyse des enregistrements LFP (local field potentials/potentiels de champs locaux) “baseline” (au repos), avec ou sans stimulation, pour voir quels sont les effets de la stimulation. Je m’interesse, entre autres, aux changements dans le couplage phase-amplitude ou PAC (phase-amplitude coupling).
Implantation d’électrodes de stimulation pour le TOC. Source de l’image : Denys et al. 2020
Définition du couplage phase-amplitude
Le couplage phase-amplitude (phase-amplitude coupling/ PAC) est une méthode d'analyse utilisée en neurosciences cognitives pour examiner les interactions entre différentes fréquences d'oscillations électrophysiologiques. Pour l'analyse de l'activité cérébrale, cela s'utilise aussi bien sur des signaux EEG qu'en sEEG ou avec des potentiels de champs locaux (LFP). Ce type d'analyse permet de comprendre comment différentes bandes de fréquences interagissent et influencent les processus cognitifs et les fonctions cérébrales.
Le PAC décrit une situation où la phase d'une oscillation à une fréquence donnée (basse fréquence) module l'amplitude d'une oscillation à une autre fréquence (haute fréquence). En d'autres termes, les fluctuations lentes de la phase d'une onde basse fréquence contrôlent ou influencent l'intensité (amplitude) des oscillations plus rapides.
Quelques principes de base sur les oscillations cérébrales
Pour mieux comprendre le concept de phase dans le contexte des oscillations cérébrales, il est utile de revenir aux bases.
(a) Signal d’un enregistrement intracrânien chez le rat, (b) le meme signal filtré autour de 2.5 Hz , et (c) autour de 80 Hz. Le couplage phase-amplitude, surligné en jaune, consiste en une augmentation de l’amplitude des hautes fréquences, synchronisée avec la phase de l’oscillation basse fréquence. (source : Dupre La Tour, 2018)
Les neurones génèrent des courants électriques lorsqu'ils envoient des signaux. Ces courants créent des oscillations mesurables localement par des électrodes, comme les LFP (= local field potentials/potentiels de champs locaux qui concernent des groupes de neurones). Si on plante une électrode quelque part dans un cerveau pour mesurer l’intensité électrique en milliampères, on obtiendra un signal qui ressemble à la ligne A ci-dessus. Ce signal un peu irrégulier peut se voir comme une addition de différents signaux, chacun avec une fréquence uniforme.
Les différentes bandes de fréquence (delta, theta, alpha, beta, gamma) correspondent à différentes vitesses des oscillations électriques dans le cerveau. Par exemple, les ondes thêta ont une fréquence comprise entre 4 et 8 Hz, ce qui correspond à 4 à 8 oscillations par seconde. Les ondes gamma, de 30 Hz à 100 Hz et plus, correspondent à 30 à 100 oscillations par seconde et sont donc “plus rapides”. Sur la figure ci-dessus, un signal en thêta correspond à la ligne B, et en gamma, à la ligne C.
Représentation et interprétation du PAC
La phase d'une oscillation lente (par exemple, dans la bande thêta – ligne B ci-dessus) représente à quelle moment cette oscillation en est dans son cycle de montée et de descente. Pendant une phase spécifique de cette oscillation lente, par exemple quand elle est au max de son amplitude, l'activité électrique d’une autre oscillation (et donc le potentiel électrique mesuré) suit une tendance prévisible (par exemple, elle augmente ou se réduit).
Source : Daume et al. 2024
Pour visualiser le PAC, on peut imaginer deux ondes sinusoïdales :
1. Une onde lente qui oscille par exemple dans la bande theta (4-8 Hz), ici en bleu
2. Une onde rapide qui oscille par exemple dans la bande gamma (30-100 Hz), ici en rouge.
Lorsqu'il y couplage PAC, l'amplitude des oscillations gamma est plus élevée à certaines phases spécifiques de l'onde thêta. Par exemple, l'amplitude des oscillations gamma pourrait être maximale quand la phase de l'onde thêta est à son pic (ce que l’on peut voir dans le rectangle ou les signaux sont superposes).
Qu’est-ce que cela signifie ? Les oscillations lentes, comme les ondes thêta, peuvent organiser l'activité neuronale en cycles réguliers. Ces cycles peuvent alors coordonner l'activité neuronale plus rapide (comme les ondes gamma) pour optimiser le traitement de l'information. Cela pourrait signifier que pendant une certaine phase de l'onde thêta, les neurones sont plus excités ou plus synchronisés, ce qui se traduit par des oscillations gamma d'amplitude plus élevée.
Prenons un exemple concret dans l'hippocampe, une région clé pour la mémoire. Supposons que l'onde thêta a une phase pendant laquelle les neurones sont plus susceptibles de s’activer (par exemple, la phase de montée). Pendant cette phase, les décharges synchronisées des neurones augmentent l'amplitude des oscillations gamma. Eh bien ce couplage pourrait faciliter la communication entre les neurones de l'hippocampe et d'autres régions, aidant à renforcer les traces mnésiques. (Salimpour et al. 2024 preprint, voir liste de lecture)
Pour résumer
Le couplage phase-amplitude (PAC) est une interaction entre différentes fréquences d'oscillations cérébrales, où la phase d'une onde lente influence l'amplitude d'une onde rapide. Physiquement, cela reflète la manière dont les cycles de décharge neuronale sont organisés et synchronisés. Biologiquement, cela pourrait jouer un rôle crucial dans des fonctions cérébrales complexes comme la mémoire, l'attention, et la communication entre différentes régions du cerveau. Regarder s’il y a des changements de PAC dans un enregistrement LFP peut être intéressant si on a deux conditions expérimentales dans lesquelles une de ces fonctions cérébrales complexes est modifiée.
Lectures grand public :
Un exemple “grand public” de PAC entre ondes cerebrales et rythme respiratoire explique au grand public dans la revue Cerveau et Psycho :
Jacquemont, G. (2022, January). La respiration, pulsation du cerveau. cerveauetpsycho.fr; Pour la Science. https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/neurosciences/https:https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/neurosciences/la-respiration-pulsation-du-cerveau-23127.php
Lectures scientifiques :
Pour aller plus loin dans la comprehension, je recommande cet article. Il constitue une bonne base pour qui veut vraiment utiliser ce concept pour des analyses :
Canolty, R. T., & Knight, R. T. (2010). The functional role of cross-frequency coupling. Trends in Cognitive Sciences, 14(11), 506–515. https://doi.org/10.1016/j.tics.2010.09.001
Un peu plus recent, et toujours avec Bob Knight en dernier auteur :
Sadeh, B., Szczepanski, S. M., & Knight, R. T. (2014). Chapter 21 - Oscillations and Behavior: The Role of Phase–Amplitude Coupling in Cognition. In G. R. Mangun (Ed.), Cognitive Electrophysiology of Attention (pp. 268–281). Academic Press. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-398451-7.00021-X
Autres sources utilisées dans cet article :
Daume, J., Kamiński, J., Schjetnan, A. G. P., Salimpour, Y., Khan, U., Kyzar, M., Reed, C. M., Anderson, W. S., Valiante, T. A., Mamelak, A. N., & Rutishauser, U. (2024). Control of working memory by phase–amplitude coupling of human hippocampal neurons. Nature, 629(8011), 393–401. https://doi.org/10.1038/s41586-024-07309-z
Denys, D., Graat, I., Mocking, R., de Koning, P., Vulink, N., Figee, M., Ooms, P., Mantione, M., van den Munckhof, P., & Schuurman, R. (2020). Efficacy of Deep Brain Stimulation of the Ventral Anterior Limb of the Internal Capsule for Refractory Obsessive-Compulsive Disorder: A Clinical Cohort of 70 Patients. American Journal of Psychiatry, 177(3), 265–271. https://doi.org/10.1176/appi.ajp.2019.19060656
Dupré la Tour, T. (2018). Nonlinear models for neurophysiological time series [These de doctorat, Université Paris-Saclay (ComUE)]. https://theses.fr/2018SACLT018
Salimpour, Y., & Anderson, W. S. (2024). Theta-Gamma Phase-Amplitude Coupling Supports Working Memory Performance in the Human Hippocampus (p. 2024.03.24.586454). bioRxiv. https://doi.org/10.1101/2024.03.24.586454
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